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« Concrétiser l’accélération ! »

Président de Sanofi France et Président de la FEFIS, Olivier Bogillot est à la tête du Comité stratégique de filière Industries et technologies de santé (CSF-ITS), et depuis janvier, du Comité de suivi du plan Innovation Santé 2030. Avec la mission d’apporter une vision partagée, alignée sur les mêmes objectifs que le gouvernement, pour définir un modèle clair d’action pour l’écosystème de la Bioproduction. 

Les 7 et 8 avril prochains, il présidera et ouvrira la 6ème édition du Congrès France Bioproduction 2022, organisée par Polepharma et Medicen Paris Région, sur le campus de CentraleSupélec de Paris-Saclay. 

Pour cet ambassadeur de la filière, cette nouvelle édition se place résolument sous le signe de l’accélération dans les biothérapies afin de développer et d’industrialiser des innovations technologiques majeures sur le territoire français. Une ambition à concrétiser sans tarder ! 

Tour d’horizon des enjeux et opportunités pour le secteur. 

Dans quel contexte prend place le Congrès France Bioproduction 2022 ? 

Nous évoluons dans un contexte particulier à plusieurs égards. D’abord – et on l’espère – un contexte de sortie de pandémie, après deux années de Covid-19 qui ont contribué à la prise de conscience collective qu’il existe des menaces de virus, quels que soient les pays du monde, avec la nécessité de s’armer contre de prochaines crises sanitaires. 

Au-delà, nous sommes entrés dans la période de la présidence française de l’Union Européenne (U.E.). Nous avons souffert en début de pandémie de la pénurie de masques, de respirateurs, de tests, … mais aussi d’un manque de coordination et de plans d’organisation. La France s’est fortement mobilisée au niveau national, mais aussi européen. Le Président Macron, qui préside l’U.E., va pousser un certain nombre de mesures « post-épidémie » sur les leçons tirées de la gestion du coronavirus. 

Troisième point : les annonces du plan Innovation Santé 2030 mettent sur la table un certain nombre de questions autour des enjeux de recherche, d’innovation, de bioproduction, de réglementation, portés par Polepharma et Medicen Paris Région, avec des stratégies d’accélération, mais aussi la création d’une Agence de l’innovation en santé, qui appelle à une nouvelle gouvernance en matière d’innovation médicale et sanitaire.  

Quel espoir porte la stratégie d’accélération « Biothérapies et bioproduction de thérapies innovantes » annoncée le 29 janvier dernier par le Président Macron ? 

Aujourd’hui, cette stratégie permet déjà de prendre conscience du chemin parcouru pendant la crise et même avant ! Au moment où Jean-Luc Bélingard, mon prédécesseur, conduit le premier contrat stratégique de filière, l’intérêt pour la bioproduction existe, mais il est surtout poussé par un noyau d’acteurs impliqués dans la bioproduction, dont Sanofi. Nous défendons alors pour la France l’importance d’avoir des capacités de production de biomédicaments, après le constat d’un retard pris sur d’autres pays européens. Nous sommes entendus puisque la bioproduction figure parmi les chapitres inscrits dans le contrat stratégique de filière et, deux ans plus tard, cela se transforme en véritable « stratégie d’accélération ». C’est dans ces termes que le Président Macron l’a inscrit dans le plan Innovation Santé 2030. Après plusieurs mois de travail et une consultation menée auprès des acteurs de l’écosystème, nous avons ainsi obtenu le soutien des pouvoirs publics pour structurer notre filière Bioproduction. 

Ensuite, est venue l’annonce de la création de l’Alliance France Bioproduction, mais aussi le lancement d’initiatives spécifiques telles que le projet Calipso auquel je tiens particulièrement. Ce dernier mobilise le meilleur de la recherche privée et académique du domaine avec, outre Sanofi, la participation de Capgemini Engineering, Ypso-Facto, Global Process Concept, le CEA et CentraleSupélec, pour mettre au point de nouveaux outils de développement et de pilotage des procédés industriels. 

Cette stratégie d’accélération, lancée le 7 janvier dernier, a conduit Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, et Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l’Industrie, à faire des annonces précises de financement à hauteur de 800 millions d’euros, avec des avancées significatives. Un point important, par exemple, est la possibilité d’avoir des ouvertures longues (de 4 ans) pour les sociétés innovantes, qui ont ainsi le temps de faire murir leur technologie avant d’accéder à un budget significatif. 

Dans cette stratégie, nous avons défini les priorités sur lesquelles la France a le plus de chance de réussir pour se reconstituer des capacités de bioproduction, notamment les anticorps monoclonaux, les cellules CAR-T, les thérapies géniques et cellulaires et l’ARN messager. Avec l’objectif de préciser, au fur et à mesure, les domaines sur lesquels se différencier par rapport aux autres pays. 

Quelle est l’ambition de cette nouvelle édition ? 

L’ambition est maintenant de relever le challenge de l’accélération ! Nous sommes arrivés à un moment clé où il va falloir accompagner cette stratégie pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés et qui sont attendus par les pouvoirs publics. Par exemple, doubler le nombre d’emplois (de 10.000 à 20.000) dans la filière, créer et produire 10 biomédicaments d’ici 2025 (20 d’ici 2030) et faire émerger une licorne et cinq ETI dans le champ des biothérapies. 

Pour y arriver, nous nous inspirons des autres pays, notamment des États-Unis, dans lesquels le financement public accompagne les initiatives des entrepreneurs privés, en interagissant avec les autorités publiques. C’est l’approche mise en avant par le NIIMBL (The National Institute for Innovation in Manufacturing Biopharmaceuticals), un consortium public-privé américain, qui travaille en lien direct avec la FDA, pour promouvoir les nouvelles technologies et bâtir les réglementations de demain. 

Pour la France, nous souhaitons fédérer les entreprises de l’écosystème, travailler avec les autorités publiques, mais aussi recevoir du financement public pour faciliter le passage de la recherche à la production dans les sciences du vivant. Ceci se résume à apporter au bon endroit, au bon moment, une intervention publique, une initiative privée et des ventures capitalistes, pour avoir le bon cocktail qui marche !

L’ambition est aussi d’inscrire cette politique et stratégie sur du long-terme. C’est le principal enjeu de ce congrès qui se déroulera juste avant le premier des deux tours des élections présidentielles. La construction d’une licorne dans les biotechs prend plus de temps que dans l’informatique ou la tech. Le court-terme ne marche pas dans les sciences de la vie. 

Quel rôle jouent Polepharma et Medicen Paris Région dans cette accélération ? 

Je me félicite des travaux menés jusqu’ici par Polepharma et Medicen Paris Région pour organiser ce congrès et rassembler largement la filière ces dernières années. Polepharma est un fleuron français avec un écosystème profondément ancré dans l’histoire de la production pharmaceutique. De même, le pôle de compétitivité Medicen Paris Région est très impliqué auprès des startups et des moteurs de l’innovation. Ce sont donc deux acteurs légitimes pour parler de notre secteur. Ce sont – également- deux écosystèmes dans lesquels Sanofi est très présent : Philippe Ivanes, actuel directeur industriel de la division Anti-thrombotique de Sanofi, est président de Polepharma, et Christian Deleuze, directeur général délégué à l’innovation pour Sanofi en France, préside Medicen Paris Région. De plus, Jacques Volckmann, vice-président de la R&D de Sanofi en France, et Emmanuel Dequier, directeur du Grand Défi Biomédicaments, qui co-pilotent le CSF Bioproduction, ont réussi à mettre autour de la table les différentes parties prenantes et spécialistes de divers domaines, parfois techniques, pour développer une filière pérenne de bioproduction en France.  

Quelles sont les problématiques et attentes actuelles de l’écosystème ? 

Sur les fondamentaux, la stratégie d’accélération donne la direction : il faut plus d’emplois, de technologies et d’investissements. Il y a un enjeu de formation et de compétences pour préparer les métiers de demain. L’accent doit aussi être mis sur l’investissement public-privé. Le fait d’avoir Bpifrance qui vienne amorcer et encourager les recherches est une bonne nouvelle. J’ai mentionné le rôle des ventures capitalistes, mais un autre enjeu est d’attirer des investisseurs sur ce secteur stratégique. Évidemment, l’attractivité passe également par une réglementation et une régulation économique qui soient plus favorables. Dans les attentes qui sont aussi les miennes, l’Agence de l’innovation en santé doit apporter plus de fluidité dans le paysage administratif français pour accélérer la mise sur le marché – notamment pour les plus petites sociétés, faciliter la réalisation d’essais cliniques et les aider à conclure des partenariats. Durant ce mandat, la réduction des impôts de production a été une évolution majeure, pas seulement pour notre secteur, mais tous les secteurs industriels. J’espère que cela n’est qu’un début. Pour être cohérent et offrir de la visibilité, la France doit aussi accepter de soutenir les innovations grâce à une politique de prix attractive. 

Pourquoi est-ce important pour Sanofi de participer à ce congrès ? 

On a beaucoup reproché à Sanofi d’avoir réduit ses effectifs en France, que ce soit en recherche ou en production. En réalité, Sanofi reste le plus grand laboratoire français et le plus important de l’U.E. Sanofi représente un quart des effectifs de la pharmacie française. Notre pipeline de molécules en développement compte près de 60% de biomédicaments. Nous sommes l’un des rares laboratoires à disposer en France de plusieurs sites de bioproduction : à Vitry, pour les anticorps monoclonaux, pour les vaccins dans la région lyonnaise et la région Normandie, ainsi qu’à Lyon Gerland avec un site dédié aux immunosuppresseurs et à la thérapie génique. Quand on occupe cette place dans la communauté, on a une responsabilité importante. C’est pourquoi on continue d’investir énormément dans l’écosystème pour développer les possibilités. Nous avons initié le Campus Biotech Digital pour former les talents de demain. Nous sommes présents dans les technologies les plus modernes avec, par exemple, un centre d’excellence d’ARN messager à Lyon, ou encore un biocluster en oncologie centré patient – le Paris Saclay Cancer Cluster – en partenariat avec Gustave Roussy, l’Inserm, l’Institut Polytechnique de Paris et l’Université Paris-Saclay. Sanofi s’implique sur l’ensemble du territoire et travaille avec de nombreuses entreprises : NovAlix dans la recherche préclinique, Cellectis dans la thérapie génique et cellulaire, mais aussi des startups de la tech et de l’I.A. comme Oken, Owkin, Aqemia, Novadiscovery, … Nous sommes une locomotive qui tire de nombreux wagons. Il est donc important et légitime pour Sanofi d’être présent au Congrès France Bioproduction.   

Quelles sont les évolutions souhaitables ? 

La France doit redevenir un écosystème attractif – pas seulement pour Sanofi – mais l’ensemble des investisseurs. J’ai été ravi d’apprendre qu’Albert Bourla, CEO de Pfizer, décide d’investir avec Novasep à Mourenx. C’est une bonne nouvelle que les groupes étrangers investissent sur le sol français. Plus on aura d’investisseurs, plus on aura de projets et de chances de succès. Nous produisons aujourd’hui 8 biothérapies en France (5%), contre 34 en Allemagne, 26 au Royaume-Uni, 23 en Irlande et 19 en Italie, sur 167 médicaments biologiques approuvés par l’EMA (période de 2012 à 2019). Il faut inverser la tendance et revenir parmi les leaders. 

La recherche française doit être plus productive pour faire émerger de nouveaux médicaments ou de nouvelles plateformes technologiques. Avec la nécessité, surtout, d’accompagner ces pépites jusqu’au bout du chemin pour éviter qu’elles ne soient rachetées ou s’exportent avant de devenir des licornes de la biotech française. C’est l’objectif notamment du biocluster Paris Saclay Cancer Cluster, un centre réunissant des acteurs clés de l’innovation en oncologie. Ce projet, d’une ampleur unique en Europe, va rassembler les meilleures expertises scientifiques, humaines et technologiques pour favoriser l’éclosion de startups sur de nouveaux axes de la médecine personnalisée. 

L’enjeu de la stratégie d’accélération est ensuite de créer les outils de production permettant la montée en échelle de la recherche vers les premiers lots cliniques et industriels. C’est une condition essentielle pour que la France se hisse à la première place en Europe, par exemple, sur des axes innovants tels que la « thérapie cellulaire pour tous » avec TreeFrog Therapeutics ou le développement de cellules tueuses naturelles (NK), une piste très prometteuse en immunothérapie du cancer. 

Sanofi est moteur sur ces axes de développement, mais ne doit pas être le seul. La France dispose de nombreux atouts : une recherche scientifique de qualité, des usines de pointe, des effectifs et compétences diversifiées. Le plan Innovation Santé 2030 voulu et porté par le Président de la République capture ces dimensions. Si j’ai accepté d’en présider le Comité de Suivi, c’est parce que je crois profondément dans ce projet d’attractivité pour la France, qui part de la recherche, en associant immédiatement les enjeux de production, avec une réglementation facilitée ainsi qu’un contexte économique et financier favorable. Avec tous ces éléments réunis, nous aurons la chance de redevenir un territoire attractif. 

D’ailleurs, j’espère que le prochain gouvernement, quel qu’il soit, proposera une politique dans la continuité de ce qui a été initié.

En quoi cette nouvelle édition fera date ? 

Si cette édition est réussie, l’ensemble des actes de ce congrès pourra être remis à une nouvelle équipe gouvernementale, mise en place probablement quelques jours plus tard. On ne pouvait donc imaginer meilleur timing pour que cette édition soit le point de départ d’un nouveau mandat et, en ce sens, fasse date pour toute la filière Bioproduction ! 

Propos recueillis par Marion Baschet-Vernet