Le Fil de la Bioproduction – Edition n°2 : Avril 2021

 La Bioproduction en France : état des lieux et orientations stratégiques

En décembre 2020, les acteurs de la filière ont présenté leur feuille de route afin de faire de la France le leader européen de la bioproduction à horizon 2030. Celle-ci s’établit sur la base d’une étude réalisée par le cabinet D&Consultants, désormais accessible sur le site du Grand Défi, qui dresse un diagnostic complet de la bioproduction en France : 
  • Les axes de développement pour potentialiser l’essor de technologies de rupture (besoins, verrous, technologies, projets) 
  • Les forces différenciantes pour créer de la valeur là où la France peut le faire (expertises, infrastructures, budgets, leviers) 
  • La feuille de route à 3, 5 et 10 ans (actions, planning, indicateurs de performance) 
Enseignements principaux de l’audit réalisé par D&Consultants : 
  • La France dispose de compétences différenciantes en ingénierie de procédés et uniques en modélisation et intelligence artificielle, en microfluidique, en outils analytiques et en biologie de synthèse sur lesquelles capitaliser 
  • Il existe des carences fortes dans le tissu industriel des fournisseurs technologiques, que ce soit pour les équipements, les consommables ou les matières premières, comme les plasmides, rendant la France dépendant de fournisseurs internationaux 
  • Le tissu de producteurs de biomédicaments doit être consolidé. Il comprend aujourd’hui un tissu peu visible, de multiple de plateformes publiques, et peu de façonniers et CDMO de taille suffisante 
  • La filière s’appuie sur un tissu important d’acteurs développant des biothérapies, notamment dans le domaine des anticorps thérapeutiques, ainsi que celui de la thérapie cellulaire et génique grâce à une forte expertise académique et clinique. La faible offre de bioproduction pour des tiers conduit en revanche ces acteurs à faire produire à l’étranger leurs biothérapies pour les lots cliniques et par continuité les lots commerciaux 
  • Les ressources humaines et la coordination au niveau national doivent être renforcées 
Cette série de constats a permis d’identifier les priorités à relever pour structurer la filière de la bioproduction en France qui ont structuré la feuille de route annoncée par la ministre Agnès Pannier Runacher avec pour objectif de multiplier la productivité par un facteur d’au moins 100 voire 1000 à horizon 2030, pour faire de la France un pays compétitif. Les 5 priorités de la filière : 
  1. La création d’une structure de pilotage scientifique et industriel de la filière, l’« Alliance France Bioproduction » avec pour mandat de structurer l’ensemble des actions de soutien au développement de la filière, en définissant les priorités et en s’assurant de la coordination entre les acteurs de la filière, en lien avec les autorités et les instances de tutelle. 
  2. Le soutien à une recherche capable de produire les innovations de demain, et le soutien au développement et à l’industrialisation des innovations technologiques majeures d’aujourd’hui pour réduire drastiquement les coûts de production de ces biothérapies 
  3. La consolidation d’un réseau d’intégrateurs à finalité industrielle avec pour objectif de faciliter et accélérer le passage d’une innovation (produit/technologie) de son stade expérimental à un stade de preuve de concept industrielle. 
  4. L’amélioration de l’attractivité de la France pour renforcer le tissu des acteurs industriels impliqués dans la filière (start-ups, deeptech, fournisseurs de technologies, producteurs pour tiers, CDMO) 
  5. Le développement et le maintien des compétences clés en France par la mise en place et la consolidation de filières de formation initiale et continue

3 questions à… 

Chantal Pichon

Professeurs de Biologie Moléculaire et Cellulaire à l’Université d’Orléans En quoi consistent vos recherches ?  Nous travaillons sur la délivrance et la production des ARN messagers (ARNm) thérapeutiques. Pour cela nous développons des formulations pour les délivrer aux cellules cibles en fonction des voies d’administration. Aujourd’hui, les ARNm sont produits de manière synthétique, par transcription in vitro, et leur coût est relativement élevé. Nous avons développé une technologie de rupture permettant de faire produire les ARNm par une usine cellulaire.  Trouver une technologie alternative robuste pour produire des ARNm à grande échelle avec un processus de fabrication simplifié et à moindre coût sera un réel avantage pour le développement des ARNm thérapeutiques. Notre challenge est de rendre cette technologie industrialisable.  Quel est votre apport dans le développement des capacités françaises en bioproduction ?  Au sein de la filière, nous apportons notre expertise pour développer une plateforme de bioproduction pour la fabrication des ARNm thérapeutiques à l’échelle industrielle en France. Nous recherchons à lever les verrous liés à la production des ARNm par synthèse in vitro, notamment la dépendance vis-à-vis de la chaine d’approvisionnement en réactifs et les licences concernant certains produits. Pour cela, nous optimisons notre plateforme afin de la rendre robuste pour produire à moindre cout des ARNm stables et efficaces en France. Une fois mise au point, la plateforme nous offrirait une technologie rentable pour répondre à des futures épidémies, permettre l’exploitation des ARNm thérapeutiques à d’autres maladies et ouvrir l’accès des thérapies à base d’ARNm à un plus grand nombre de patients.  En quoi la structuration de la Filière soutient vos ambitions ?  La structuration de la Filière est très importante car elle a permis de mettre en relation avec des laboratoires, des industriels et des sociétés de biotechnologies françaises. Notre travail est aujourd’hui réalisé en collaboration avec des acteurs de la filière ayant des expertises complémentaires et s’articule autour d’un objectif commun : faire que les capacités françaises en matière d’innovation médicale et pharmaceutique dans le domaine de la bioproduction soient reconnues à l’échelle européenne et mondiale, afin d’assurer notre indépendance pour les futures thérapies.

3 questions à… 

Patrick Genissel

Head of CMC VP R&D Servier Group Quelle est la place de la Bioproduction chez Servier ? Depuis une dizaine d’années, Servier a fait le choix d’orienter ses activités sur l’oncologie et l’immuno-oncologie en se concentrant sur les traitements innovants, majoritairement issus de modalités biologiques, comme les thérapies géniques, cellulaires et les anticorps. En 2020, Servier a notamment acquis Symphogen avec sa plate-forme de Recherche d’anticorps de nouvelle génération.  Soucieux de conserver son autonomie dans la production de ce type de traitements, le Groupe a investi 70 millions d’euros pour convertir une de ses usines situées à Gidy dans le Loiret en un centre de Bioproduction dédié qui fabriquera et conditionnera des anticorps monoclonaux, sous forme de lots précliniques, puis cliniques, pour des traitements en oncologie. Cette unité sera entièrement fonctionnelle à la fin de l’année 2022 avec à la clé la création de 60 emplois.  Quels sont les défis auxquels doit faire face la filière de la Bioproduction en France ?  Le constat de départ est éclairant : seuls 5% des anticorps utilisés par les patients sont fabriqués en France. Pour développer nos capacités, trois chantiers prioritaires doivent mobiliser la filière : 
  1. Le renforcement des CDMO afin de faciliter l’accès à des lots cliniques pour les petites entreprises 
  2. La coordination des acteurs pour disposer d’un réseau structuré et fluidifier les échanges entre les différents acteurs impliqués 
  3. La formation et le développement des compétences. Sur ce dernier point, Servier est très fier d’être associé à la création du Campus Biotech Digital piloté par un consortium industriel aux côtés de BioMérieux, Novasep, et Sanofi, de nombreuses écoles y sont aussi associées.
Quelles sont les conditions du succès pour la filière ?  Nous sommes convaincus que nous disposons sur notre territoire de tous les atouts pour être un leader de la Bioproduction. L’histoire est à écrire, toutefois, nous nous appuyons sur des fondamentaux extrêmement solides pour développer des technologies de rupture. Pour cela, la question des financements est évidemment cruciale, mais plus encore, nous devons nous organiser et travailler en collectif : les universitaires doivent pouvoir parler avec les industriels qui doivent eux-mêmes soutenir les start-ups, dans une démarche gagnant-gagnant au service des patients. C’est le sens de notre projet à Gidy où nous souhaitons ouvrir nos portes à d’autres acteurs au quotidien.